JULES NORIAC – « La Bêtise Humaine » (1860)

jn1Exemplaire de la onzième édition de 1861, dans une reliure artisanale avec des initiales en ex-libris en queue du dos, peut-être celles du propriétaire du livre, mais plus probablement celles du relieur.
Tiens, dit Clamens, voyez-vous ce ruban d’asphalte, qui s’étend de l’endroit où nous sommes jusqu’à la Chaussée d’Antin ?
Oui, répondit Eusèbe. C’est le boulevard des Italiens.
Vous l’avez dit. Eh bien, l’humanité entière grouille sur cette surface de terrain grande à peine comme le jardin de votre père. Asseyons-nous, et dans une heure, vous connaîtrez Paris comme si vous l’aviez fait. Et Paris, c’est l’Univers ! Les autres villes du monde, Bordeaux, Lyon, Londres, Berlin, Rome, Petersbourg sont des rivières ou des fleuves. Paris, c’est la mer. Tous les échantillons physiques et moraux de l’espèce humaine viennent s’y rouler et se tordre comme des vagues furieuses, dans cette immense et sublime tempête qu’on nomme la vie. Vous voulez décomposer cette eau houleuse ? Tant pis pour vous; vous n’y trouverez que de l’écume, ou vous vous noierez, faute de cette ceinture de sauvetage qui s’appelle l’expérience.
Mieux vaut se noyer tout de suite que de mourir de fatigue sur un rocher d’où l’on n’aperçoit que le vide, reprit Eusèbe. Mais en vérité, il me semble que nous employons de bien grands mots pour de bien petites choses.
D’abord, répondit Daniel Clamens, il n’est rien de petit au monde. Une goutte d’eau peut sauver un homme, trois peuvent le tuer, cent forment une rigole, mille un ruisseau. Multipliez dix fois ces nombres par eux-mêmes, et vous arriverez à former un torrent qui, en huit jours, engloutirait la France. Eh bien, les hommes sont comme ces gouttelettes. En les voyant séparément, ils n’ont rien de terrible; mais le jour où, par une franc-maçonnerie mystique, ils se trouvent rassemblés et classés selon leurs vices, leurs qualités, leurs passions ou leurs ardeurs, ils s’enlacent et forment un tout redoutable qui ébranle les sociétés jusque dans leurs racines les plus profondes.
Que faire, au milieu de tout cela ? demanda Eusèbe.
Rire, répondit le poète; rire pour ne pas pleurer; exploiter les vices des uns, les vertus des autres, et fermer les yeux pour ne pas voir le lendemain.
En admettant cette théorie, reprit Eusèbe, il me semble fort difficile de connaître assez les autres pour pouvoir profiter de leurs défauts ou de leurs qualités.
Allons donc ! On connaît tout le monde excepté soi. Voyez-vous ce gentleman qui marche devant nous ? Il est mis comme un prince, il dîne dans tous les bons endroits et ne se refuse rien. Pourtant, il est arrivé à Paris en sabots il y a quatre ans. Aujourd’hui, il doit ses bottes, voilà tout le mystère. Ce gaillard-là refuserait le traitement d’un conseiller d’État. Il gagne plus à emprunter.
Très bien, répondit le jeune homme, pour celui-là, je comprends, il a un vice déterminé. Vous le connaissez et ne lui prêtez rien; c’est fort bien cela. Mais quel parti pouvez-vous tirer de lui et de ses défauts ?
– Je lui emprunte de l’argent.
Le jeune Martin fut sur le point de penser que son ami le faisait poser, mais Clamens ne lui donna pas le temps d’entrer en pourparlers avec cette idée.
– Je lui emprunte de l’argent, reprit-il, et il m’en prête parce que, mieux que personne, il connaît la nécessité. Adroit chasseur de pièces de vingt francs, il croit voir en moi un élève qui fera son chemin. Puis l’argent qu’il me prête est l’excuse de sa conscience : lorsqu’il dépouille les autres, il pense que je l’ai dépouillé, et il finit par croire qu’au lieu de pratiquer l’escroquerie, il applique la loi du talion. Seul, cet homme n’est point dangereux, mais il a dix mille confrères, qui exploitent quarante mille sots et en vivent, au détriment de cent mille pauvres diables qui crèvent de faim ou vont mourir aux galères.
Je suis sûr, continua Daniel Clamens, que le mot « usurier » représente à votre esprit un vieillard sordide, en redingote marron et en bonnet de soie noire.
Il est dans ma commune un vieil homme nommé Gardet, qui passe pour pressurer les pauvres gens qui lui empruntent de l’argent. Il est vrai que ce vieux drôle est vêtu à peu près comme vous le dites, à cette différence près que son bonnet n’est point en soie. Dans beaucoup de livres que je lis depuis deux ans, j’ai vu les usuriers dépeints de la même façon.
C’est un tort. Aujourd’hui, tout ce qui fait le mal est jeune; c’est là un des signes les plus caractéristiques de notre époque. Ce sont les jeunes qui jouent à la Bourse, pendant que les vieux font du commerce; ce sont les jeunes qui entretiennent les filles, et les vieux qui se cachent dans les armoires; c’est triste à dire, mais cela est ainsi. Revenons à nos moutons. Ces deux jeunes dandys, qui devant nous balancent si agréablement leurs sticks, ont à peine cinquante ans à eux deux. En ce moment, ils ne se promènent pas, comme vous pourriez le supposer : ils cherchent pratique. Avez-vous besoin d’argent ?
Cher ami, répondit Eusèbe, vous savez que je suis tout à fait sauvage et que j’ignore la plupart des choses de la vie; faites-moi donc la grâce, si cela ne vous ennuie pas trop, de vouloir bien m’instruire jusqu’au bout, en me définissant d’une façon exacte la profession de ces deux hommes.
C’est facile. Ces deux diables ont compris que le besoin était la lèpre de presque toutes les existences, et ils ont fondé contre la gêne une compagnie d’assurance qui serait une chose toute philanthropique si la prime n’était de cent pour cent. Exemple : ils prêtent sur garantie cinq cent francs pour six mois; au bout de ce temps, on leur en rend mille.
– Pourquoi mille ?
– Pour l’intérêt de l’argent avancé pendant six mois.
– Mais à tant faire, reprit Eusèbe, ils devraient prêter pour un an; ils n’auraient besoin de rien donner du tout.
– C’est une idée cela, il faudra que je la leur communique.
– Vous connaissez donc de telles gens ?
– Ce sont mes amis.
– Vous m’étonnez fort !
– Raisonnons. Je ne suis pas procureur impérial, moi, que diable ! Peu m’importe leur conduite ! Qu’ils dupent les sots, c’est une affaire entre leur conscience et la bêtise humaine : qu’ils s’arrangent ! Pour moi, je les ai toujours trouvés charmants; ils m’ont rendu service en me prêtant souvent.
– A cent pour cent ?
– A rien pour cent.
– Alors ils ne sont pas aussi juifs que vous le voulez bien dire ?
– Ils le sont plus que je ne saurais le dire; mais pas avec moi, et voici pourquoi. Le jour de la fortune faite s’avance pour eux. Ce jour arrivé, ils laisseront les affaires, auront des voitures, des maîtresses, ils épouseront deux héritières, feront figure dans le monde. Mais il est une chose qu’ils ne pourront acheter, c’est la considération, et ils comptent sur moi pour leur servir de témoin à décharge devant le tribunal de l’opinion publique.
Triste, triste ! murmura Eusèbe.
Que voulez-vous, le monde est ainsi fait, dit Daniel.
Eh bien ! Décidément, reprit le provincial, j’aime mieux de pas faire sa connaissance.
Vous avez tort; vous auriez appris des choses curieuses qu’il importe de connaître; puis, voyez-vous, la première chose à faire est d’apprendre les vices du temps afin de pouvoir les éviter.
– J’aime mieux les appréhender que de les voir de trop près, répondit le jeune Martin; merci mille fois, mon cher Clamens, d’avoir bien voulu être mon guide. je sens que je suis trop faible pour arriver à un but à travers des chemins si dangereux. Continuez à aller droit devant vous dans cette voie; vous connaissez la boue de toutes les ornières, les ronces de tous les buissons; vous arriverez j’en suis certain. Mais en vérité, je vous le demande; qu’irais-je faire, moi, simple et naïf, à travers tant de périlleux chemins ? Suivons chacun notre voie : allez confiant vers l’avenir; moi je retourne au bonheur.
Les deux amis se promenèrent longtemps silencieux. Clamens, assez désappointé de ne plus avoir à professer, se disait : Eusèbe est un sot. De son côté, Eusèbe se disait : Daniel est un sage. Et comme ils étaient tous deux dans une erreur profonde, ils demeuraient convaincus qu’ils étaient dans le vrai.

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Ce dialogue fort intéressant, où perlent avec plus de cinquante ans d’avance les dissensions politiques et morales qui opposent encore aujourd’hui la droite libérale à la gauche humaniste, est tiré d’un roman philosophique tout à fait délectable qui connut son petit succès sous le Second Empire, et fut le premier succès de JULES NORIAC (1827-1882), un journaliste et chroniqueur originaire de Limoges et qui fit une belle carrière sur Paris. Les années 1860 marquèrent son accession à la rédaction-en-chef de journaux aujourd’hui disparus, mais qui lui laissèrent un peu plus de temps libre. Il entreprit donc une carrière littéraire sans grande ambition, se voulant un auteur moraliste mais léger, très fortement influencé par Voltaire, dont il reprenait l’esprit tout en le modernisant considérablement.

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On regarde aujourd’hui Voltaire comme le philosophe du XVIIIème siècle par excellence, ce qu’il est bien évidemment, mais il ne faut pas négliger qu’il fut ensuite, sous le très politiquement chaotique XIXème siècle, la haute référence des libres penseurs, non seulement comme philosophe mais comme précurseur de la République. Bien que de nos jours on les trouverait très liberticides, Louis-Philippe puis Napoléon III pratiquèrent une censure assez laxiste par rapport à leurs prédécesseurs, concernant la presse et la philosophie. En partie malgré eux, les deux souverains défirent petit à petit le rigorisme autoritaire que la Restauration avait ramené en France. D’où, sous le Second Empire, une assez notable liberté de ton, qui à défaut d’être ouvertement révolutionnaire, laissait à beaucoup d’intellectuels la liberté de publier leurs opinions sociales, tant qu’elles n’appelaient pas à renverser l’Empereur ou à pratiquer un trop grand relâchement des mœurs.
De ce fait, la référence historique devint un puissant médium pour discourir d’idées subversives sous le prétexte commode d’un exotisme hypocrite. On prêtait aux gaulois, aux romains, aux grecs anciens ou aux philosophes du Siècle des Lumières des modes de vie et des utopies bien plus modernes, dont on ne cachait qu’à demi-mots qu’on apprécierait de les voir revenir.
Jules Noriac était un voltairien convaincu, quoique assez fortement opposé au progrès et à l’industrialisation naissante que l’Empereur souhaitait accélérer. Il y voyait non seulement la mainmise de l’Empire sur la France via le développement frénétique de la technologie et de l’industrie, mais aussi l’avènement d’une corruption et d’une perversion morale qui furent effectivement la marque du Second Empire, et qu’Emile Zola a si longuement dénoncé après la chute de l’Empire dans son cycle des « Rougon-Macquart ». Cette décadence morale, ce dévoiement de la probité commerciale, toucha les grandes villes, et plus particulièrement Paris, bien avant d’atteindre le monde rural, et c’est autour de ce décalage notable, entre un Paris qui cote en bourse et une province qui continue d’élever les moutons sans penser à l’avenir, que se tient le cœur du roman de Jules Noriac.
D’abord baptisé « Eusèbe Martin », du nom de son personnage principal, pendant sa publication en feuilleton, ce roman fut définitivement intitulé « La Bêtise Humaine » lors de sa sortie en volume. Un calcul habile, car beaucoup de romans à l’époque portaient comme titres le nom de leur héros ou de leur héroïne, ce qui cachait mal un manque d’inspiration ou une confiance trop grande dans la sympathie immédiate que peut susciter un nom bien français. Un livre appelé « La Bêtise Humaine » était une bonne blague à avoir chez soi ou à offrir à un parent mal-aimé, même si on était peu passionné par l’auteur. Le succès, commercial comme critique, fut donc très conséquent.
Pourtant, comme on va le voir, « La Bêtise Humaine », sur le plan littéraire, n’apportait pas grand chose de nouveau, si ce n’est une subversion faussement candide.
L’intrigue du roman de Noriac est très minimale, l’auteur s’étant contenté de remettre au goût du jour le « Candide » de Voltaire, trame romanesque il est vrai inépuisable. Le fameux mythe du « bon sauvage », de l’être pur et sain, issu d’un milieu lointain et naturel, plongé dans l’enfer des grandes cités, et dont il devient, bien malgré lui, le révélateur de toutes les aberrations, a été abondamment repris, surtout outre-Atlantique, depuis le « Tarzan » d’Edgar Rice Burroughs jusqu’au E.T. de Spielberg, en passant par le John « Savage » du « Meilleur des Mondes » d’Aldous Huxley ou le film « Starman » de John Carpenter. Le personnage de Voltaire, à la fois naïf et lucide, ignorant mais censé, n’a jamais cessé d’être un symbole fort et populaire dans une société de plus en plus urbanisée, où l’intérêt collectif étouffe non seulement de plus en plus les individualités, mais va au rebours des lois essentielles de la nature.
Toutefois, le candide, le bon sauvage, est un symbole qui a toujours été assez ambigu, prônant un retour à la vie naturelle, à la morale essentielle, que l’on peut juger aussi bien humaniste que rétrograde, autant écologiste que misanthrope, tout aussi égoïste que schizoïde. Il est vrai que la notion de progrès a elle-même beaucoup évolué depuis le siècle de Voltaire, au point même qu’il est compliqué de la définir aujourd’hui. Le progrès, à la base, visait à améliorer les conditions de vie de l’humanité, mais remplit-il encore aujourd’hui cette mission ?
Toujours est-il qu’au XIXème siècle, la question semblait déjà se poser, non seulement face au début de l’industrialisation, mais aussi face à la fièvre de l’argent, de la bourse, du capitalisme naissant, qui ruinaient presque autant de gens qu’ils n’en enrichissaient.

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Ce n’est pourtant pas ce qu’est venu découvrir le jeune Eusèbe Martin, jeune homme ayant vécu jusqu’ici l’existence simple et insouciante du fils unique d’une famille peu fortunée mais bénéficiant d’une demeure ancestrale et de terres généreuses, au sein d’une ruralité isolée du Limousin, à une époque où l’agriculture permet encore un certain confort. La mère d’Eusèbe est morte alors qu’il n’était qu’un tout jeune enfant. Il a donc été élevé par son père, qui ne s’est pas remarié. Le père d’Eusèbe est un vieux royaliste renfrogné, ayant fait sa vie en travaillant beaucoup, et en faisant un mariage intéressé. C’est un homme méfiant, pragmatique, qui tient l’école de la vie pour la meilleure du monde. Aussi fait-il à Eusèbe un bien étrange cadeau pour son vingt-et-unième anniversaire : il lui remet 50 000 francs en pièces, soit toute la somme liquide prévue pour son héritage, et lui ordonne de se rendre à Paris et d’y découvrir la civilisation. Avec la somme ainsi léguée, Eusèbe a les moyens de vivre raisonnablement quatorze ans sans avoir besoin de travailler. Mais il peut aussi se lancer dans les affaires et faire de cette somme un capital à fructifier, ou au contraire tout dépenser en quelques années et vivre une existence de bohème. Monsieur Martin Père invite Eusèbe à faire ses propre choix, et à ne pas revenir dans la maison familiale avant sa mort, auquel cas, même s’il est ruiné ou s’il s’est fait dépouiller de ses biens, il lui restera toujours la demeure familiale et l’exploitation pour vivre.
Bien qu’il ne soit rien moins que jeté hors de chez lui et confié sèchement à la providence par un père qu’il pense ne jamais revoir vivant, Eusèbe Martin préfère envisager son aventure pour ce qu’elle est : une aventure. A 21 ans, Eusèbe est encore un enfant dans sa tête, un enfant candide mais conscient de sa candeur, puisque justement il doit se rendre à Paris pour la perdre. Positif, avide d’apprendre et d’embrasser le monde, Eusèbe, ayant hérité du côté pratique de son père mais doté d’une meilleure humeur, part donc vers la capitale avec le cœur léger. L’argent qu’il transporte avec lui, dissimulé dans une ceinture, l’intéresse assez peu, il ne sait même pas véritablement ce qu’il en fera. Sa première idée est de le faire durer jusqu’à son retour dans la maison familiale. Ce qui le passionne avant tout, c’est le caractère initiatique de ce voyage : apprendre la civilisation.
C’est donc avec le plus grand naturel, et dans un costume qui a plusieurs décennies de retard, que le jeune Eusèbe prend le train jusqu’à Paris et commence à y semer la plus grande stupeur qui soit, en se présentant à chaque passant qu’il croise en disant : « Bonjour, je m’appelle Eusèbe Martin, je suis originaire de La Capelette, dans le Limousin, et je suis venu à Paris pour y apprendre la civilisation ». Il découvre, un peu froissé, la mauvaise humeur, la grossièreté et la moquerie des Parisiens. Il se fait assez brutalement houspiller lorsque, cherchant à se loger, il tombe, extasié, devant le Museum d’Histoire Naturelle et le Jardin des Plantes, qui lui rappellent avec nostalgie l’exploitation familiale, et s’enquiert pour savoir si la propriété est à louer. Errant sans but et en se demandant comment diable on peut reconnaître ici une maison qui est à louer d’une autre qui ne l’est pas, il dérive de la gare d’Austerlitz au boulevard Saint-Michel.
Passant devant un commerce où une femme appelle à l’aide car son mari, criblé de dettes, vient de se pendre au milieu de son magasin, Eusèbe force la masse des badauds venus assister, passifs et morbides, au trépas du boutiquier. Il se hisse sur une chaise et tranche la corde de son puissant couteau de campagne qu’il a eu soin d’emmener avec lui, devant les spectateurs horrifiés qu’il ose toucher le cadavre. C’est que le jeune homme, habitué au spectacle de la mort des animaux de la ferme, avait tout de suite vu que l’homme pouvait encore être sauvé. Lorsque le commissaire de police, appelé pour constater le suicide, fait irruption dans la boutique, le cadavre qu’il pensait découvrir a déjà retrouvé ses couleurs et reprend lentement conscience après quelques convulsions. Alors que le commissaire félicite Eusèbe pour son geste, ce dernier lui confie un mandat à faire verser au boutiquier, afin de couvrir l’intégralité de ses dettes.
Un peu interloqué par ce singulier personnage, le commissaire le ramène au commissariat sous un prétexte administratif, afin de vérifier son identité.
Eusèbe n’est pas inquiété longtemps. Ses papiers sont en règle, et le commissaire est vite charmé par cette âme candide mais honnête et généreuse. Il le met en garde contre les dangers de la capitale, et lui fait promettre de revenir le voir s’il lui arrive malheur.
Mais ces recommandations n’effrayent nullement Eusèbe qui parcourt la capitale en touriste émerveillé, reste interdit devant la colonne de la Bastille, dont il s’explique mal la fonctionnalité, puis part dîner dans un restaurant où il est tout surpris d’apprendre qu’il peut choisir le plat qu’il veut. Enfin, trainant jusqu’au soir, systématiquement moqué ou injurié par tous les gens auxquels il s’adresse, il s’inquiète de la nuit qui tombe et cherche désespérément une auberge. Voyant passer une ouvrière rentrant chez elle, Eusèbe lui demande si elle connaît un lieu où il pourrait coucher. La demoiselle le gifle sans ménagement, croyant qu’Eusèbe la prend pour une prostituée.
Cette ultime et violente injustice vient enfin à bout de son optimisme. Seul dans la nuit parisienne, sans nulle part où aller, le garçon s’effondre sur un trottoir et se met à pleurer. Non loin de là, Lansade, un marchand de porcelaines qui est en train de fermer boutique, entend ses pleurs et vient à son secours. Comprenant, à son accent, qu’il a face à lui un jeune provincial qui s’est heurté à l’âpreté de la capitale, il l’invite à prendre un verre dans sa boutique.
C’est la première rencontre agréable qu’Eusèbe fait lors de cette première journée à Paris, et ce n’est pas totalement un hasard même si ça reste une chance insoupçonnée pour Eusèbe. Lansade est lui aussi originaire du Limousin, il a même connu dans le temps le père d’Eusèbe. C’est un vieux commerçant installé à Paris depuis un quart de siècle. Après avoir vidé quelques verres avec Eusèbe, il l’emmène chez une logeuse de sa connaissance, qui lui loue une chambre au mois.

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Habitué à être réveillé tous les matins par l’angélus de son village, Eusèbe a besoin de quelques nuits pour discipliner son sommeil et se lever suffisamment tôt pour profiter de ses journées. Lansade lui décrit avec peu de complaisance la réalité parisienne, et l’encourage à chercher un travail – ou tout du moins une idée de travail, car Eusèbe n’a jamais travaillé de sa vie. Lansade présente aussi Eusèbe à l’un de ses amis et fournisseurs, Paul Buck, peintre sur porcelaine. Celui-ci est un bon vivant, et à défaut de guider Eusèbe pendant la journée, il le fait le soir, en le trainant dans les théâtres et les opéras-comiques qui sont, sous le Second Empire, la première distraction des parisiens. Eusèbe découvre alors des spectacles qui le dépassent, auxquels il comprend fort peu de choses – l’idée même de comédie lui semblant absurde – mais qui le fascinent au point qu’il y retourne chaque soir.
Eusèbe oublie rapidement sa volonté de chercher un travail et son étude de la civilisation, lorsque, lors de la représentation d’un opéra-comique, il aperçoit sur scène une comédienne pour laquelle il ressent un vrai coup de foudre. L’émotion en est si intense qu’il retourne voir la même pièce chaque soir, sans Paul Buck, seulement pour contempler la délicieuse Adeonne. Mais un soir que son voisin de gauche lâche un propos grivois sur la jeune fille, Eusèbe, en véritable amant outragé, se jette sur lui et le bourre de coups de poings. Il est évacué manu militari par les sergents de ville, et se retrouve seul dans la nuit, avec le cœur débordant d’amour pour une jeune femme dont il ne sait rien.
Son ignorance ne durera pas longtemps. A la faveur d’un week-end à Viroflay, dans la maison de campagne de Lansade, en compagnie de Paul Buck, Eusèbe ne peut dissimuler plus longtemps à ses amis la raison de la langueur qui le ronge : il leur révèle son amour pour Adeonne, ce qui consterne les deux amis, qui connaissent bien la réputation de la jeune femme, laquelle collectionne les amants fortunés et passe d’un lit à l’autre sans fioriture. Par pudeur, Lansade et Paul Buck n’entrent pas dans les détails, mais ils font de leur mieux pour dissuader Eusèbe de chercher à concrétiser cet amour, notamment en lui révélant que c’est une fille « qui se vend ».
Qu’à cela ne tienne, se dit Eusèbe Martin, si elle se vend, je l’achèterai.
Procédant par ruse, Eusèbe Martin parvient à apprendre, par le théâtre où elle joue, l’adresse personnelle d’Adeonne. Il se présente un matin à son domicile, et lui dit tout de go qu’il désire l’acheter. Alors que très logiquement, Adeonne se prépare à jeter dehors ce jeune bouseux impudent, Eusèbe se jette à ses pieds, lui demandant pardon, confessant son amour, sa mission d’apprendre la civilisation, son rêve de l’épouser et de la ramener à La Capelette, pour y vivre ensemble une saine vie d’agriculture et de travaux à la ferme… Cette âme simple vidant son sac dans un long sanglot désolé eût fait horreur à bien des femmes, mais contre toute attente, Adeonne se laisse émouvoir par ce garçon jeune, beau et d’une candeur bouleversante. Il faut dire que la sublime Adeonne, aux pieds de laquelle de riches et vieux libertins abandonnent leur fortune, se nomme en réalité Françoise Vacher, et elle est la triste progéniture d’une comédienne à lacuisse légère et d’un soldat inconnu. Abandonnée par sa mère, Adeonne s’est prostituée dès l’âge de dix ans dans des milieux interlopes. Devenue fort belle en grandissant, elle fut à même de se choisir une clientèle plus fortunée, jusqu’à ce qu’un vieil aristocrate lubrique soit suffisamment sot pour la ramener à Paris, où elle sut se faire suffisamment de relations pour pouvoir un jour monter sur scène.
Cette brillante réussite avait presque fait oublier à Adeonne qu’elle n’avait pas eu l’occasion de goûter au véritable amour. Ce jeune paysan qui tombe à ses genoux est, sans qu’il s’en doute, le premier homme à lui susurrer d’aussi tendres mots, le premier aussi à se déclarer à genoux devant elle et à lui parler de mariage, de vie à deux. Comme si elle n’avait attendu que ce moment dans toute sa vie, Adeonne sent son cœur fondre pour cette âme pure et c’est avec une déconcertante spontanéité qu’elle cède à sa demande et l’installe chez elle.

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Eusèbe partage avec Adeonne quelques semaines merveilleuses, mais très vite il sent le malaise s’installer en lui. Le milieu du théâtre et de l’Opéra-Comique où évolue sa compagne lui déplaît. Les cabotinages de ses confrères l’irritent. Tout cet art théâtral lui apparaît d’une effroyable vulgarité. La jeune femme a le tort, voulant aider Eusèbe à intégrer son milieu, de le faire assister à ses répétitions. Adeonne a besoin de longtemps chauffer sa voix avant de pouvoir assurer les passages chantés, et Eusèbe subit non seulement ses pathétiques tentatives, mais les insultes enragées dont le régisseur abreuve la comédienne. Tout cela mine son moral et refroidit sa passion.
Il parvient cependant à se changer les idées en compagnie de Daniel Clemens, un ami poète d’Adeonne, qui est surtout un parasite social, vivant d’emprunts effectués à droite et à gauche auprès d’affairistes peu recommandables. En fripouille aguerrie, Clemens est singulièrement attendri par la candeur d’Eusèbe, et entend bien le convertir à son pragmatisme douteux, dans le vain espoir d’en obtenir un futur bénéfice. Mais les enseignements de Clemens achèvent encore de décourager Eusèbe.
Une dernière avanie attend le jeune homme. Alors qu’il se promène avec Daniel et passe devant la terrasse d’un café, il entend nettement un jeune homme se vanter auprès de ses amis d’être l’amant d’Adeonne. Furieux, Eusèbe se dirige vers le vantard et, devant ses proches, le traite de menteur, affirmant qu’il est le seul amant d’Adeonne.
L’incident aurait pu en rester là, mais le jeune fanfaron n’est pas n’importe qui. Il s’agit du jeune comte de La Saulaye, et on n’humilie pas comme cela un jeune nobliau. Ce dernier exige réparation, c’est-à-dire un duel. Eusèbe Martin, bien entendu, n’y comprend rien, ne sait pas ce que c’est que cette bête-là, et il confie à Daniel Clemens, après un échange de cartes de visite, qu’il ne comprend rien à cette histoire de lois de l’honneur, que le comte devrait s’estimer heureux qu’Eusèbe ne lui ait pas allongé quelques bons coups de poings bien mérités, mais qu’il est hors de question qu’il se batte. Clemens lui explique qu’il n’a pas le choix, ce sont les lois de l’honneur, on ne peut les contourner, et d’ailleurs si Eusèbe se défile, ce sera à lui, Clemens, témoin de la rixe, d’aller se battre à sa place.
La mort dans l’âme, Eusèbe accepte de se battre, et à vrai dire ,le combat est plutôt bref. Le comte étant l’offensé, il disposait du choix des armes et a choisi l’épée. C’est un duel au premier sang, c’est-à-dire qu’il doit cesser à la première blessure infligée. Le comte de La Saulaye est un excellent bretteur et a confiance en lui. Il a tort… Pressé d’en finir, et sans aucune connaissance en escrime, Eusèbe fait à peu près n’importe quoi avec son épée et parvient à blesser en quelques minutes son adversaire au poignet, le comte s’avérant incapable de parer efficacement des coups qu’il n’a pas appris et dont il ne saisit même pas la logique. Les adversaires se quittent en termes courtois, mais l’affaire n’en est pas finie, car des gendarmes ont épié les duellistes et n’ont pas de mal à les identifier.
Sous Napoléon III, les duels étaient interdits sans être réellement réprimés. On faisait venir les fautifs dans un tribunal, on les obligeait à se serrer la main, et on leur collait une bonne amende pour l’exemple. Or, si Eusèbe Martin, convoqué au palais de justice de Versailles, accepte volontiers l’amende, il refuse énergiquement de serrer la main de son adversaire. Un homme qui a manqué de respect à sa compagne, ça ne peut pas se pardonner d’une poignée de main, c’est insensé !
Le juge d’instruction comprend alors qu’il a face à lui quelqu’un de singulièrement perdu au milieu des conventions humaines. Il le reçoit en privé, et Eusèbe Martin, à bout de nerfs, raconte à nouveau son histoire : il est venu à Paris pour apprendre la civilisation, et il n’est tombé que sur des sauvages, des gens qui ont des coutumes étranges, des règles aberrantes, des manières inacceptables, des lois qui vont à l’opposé du bon sens. Il ne sait plus quoi penser, quoi croire. Il veut la vérité. Qu’est-ce que la vérité à la fin ?
Un peu sot et sentencieux, le juge d’instruction lui répond que la vérité, c’est le Devoir.
Cette phrase se grave dans la tête surchauffée d’Eusèbe Martin. Le Devoir. Oui, c’est cela, il lui semble avoir trouvé enfin le sens de la vie : Le Devoir.
Mais qu’est-ce que le Devoir exactement ?
Le juge a sa définition, mais Eusèbe ne s’en contente pas. Il interroge ses amis : Lansade, Paul Buck, Clemens, Addeone… Tous ont une définition du devoir différente, qui leur est propre, qui les concerne, souvent liée à leur métier, leur mentalité, leur philosophie. Mais Eusèbe n’a rien de tout ça. Eusèbe n’a rien appris de la vie, malgré tout ce qu’il a vécu. En pleine détresse métaphysique, il écrit à son père, l’auteur de ses jours, et lui dit que sa quête est accomplie; qu’au bout de la civilisation, il n’a trouvé que le Devoir, mais qu’il ne sait pas où se trouve son Devoir à lui. Son père lui répond, toujours très pratique que le Devoir, c’est le Mariage, et justement, ça tombe bien, son père a quelqu’un en région parisienne à lui recommander.
C’est ainsi que pour se raccrocher au Devoir, Eusèbe Martin rompt avec Addeone et épouse la fille d’un ami de son père, Louise Bonnaud, une bourgeoise insignifiante auprès de laquelle Eusèbe s’ennuie très vite. Ne souhaitant pas diriger l’usine de son beau-père, Eusèbe la confie à Isidore Boucain, un employé monté en grade, dont Louise devient bien vite la maîtresse, désertant le lit conjugal. Un matin, les deux tourtereaux disparaissent, emportant avec eux la caisse de l’usine, qui n’a alors plus qu’à fermer ses portes.
Eusèbe comprend alors que son père s’est fait une très mauvaise idée du Devoir, et interrogeant son cœur, il réalise qu’il n’aurait jamais dû quitter Addeone et qu’il en est toujours très épris. Il hèle une calèche et se fait conduire chez elle, se promettant de faire tout son possible pour la reconquérir. Mais la domestique qui lui ouvre la porte affiche une tenue de grand deuil. Incapable de se remettre de sa rupture avec Eusèbe, incapable aussi de reprendre sa vie vénale, Addeone s’est suicidée quelques jours auparavant.
Brisé, assommé, effondré par le chagrin, Eusèbe Martin passe une dernière fois saluer ses amis, et leur annonce qu’il retourne définitivement à La Capelette, quoi qu’en dise son père. Il ne veut plus jamais revoir Paris…
Revenu dans le domaine familial, Eusèbe trouve son père sur son lit de mort. Celui-ci très affaibli demande à son fils s’il sait à présent où est la vérité. Eusèbe répond que la vérité n’est assurément pas sur Terre, c’est donc qu’elle est au Ciel. Son père fait une moue peu convaincue et puis ajoute : « Quoi qu’il en soit, ne fais pas entrer l’abbé, je ne veux pas le voir, il a les cheveux rouges ». Puis il meurt, après ces derniers mots.
Ainsi s’achève le voyage initiatique d’Eusèbe Martin.

jn5 -Louis Mallebranche

« La Bêtise Humaine » diffère idéologiquement de « Candide » dans cette fin pessimiste, où « cultiver son jardin » se semble même plus un échappatoire à la souffrance. Le conte philosophique se fait ici féroce, presque pré-anarchiste, dans son nihilisme absolu de toute espèce de sagesse et dans sa condamnation morale des lois et des conventions. Parti découvrir la civilisation, Eusèbe Martin ne découvre que la bêtise humaine, et l’étudie docilement jusqu’à en être contaminé à son tour, en croyant que la bêtise n’est qu’à Paris, qu’elle ne saurait être paternelle ou magistrate à Versailles. Or, la bêtise est partout, absolument partout, y compris dans cette quête d’apprentissage de la civilisation que son père lui a imposée, y compris dans les derniers mots stupides de ce même père qui aura fait, au final, le malheur de son fils en voulant lui dessiller les yeux.
Pourtant, au départ, Eusèbe Martin est candide, très naïf, mais il n’est pas fondamentalement idiot. Au fur et à mesure qu’il se heurte aux autres, il le devient, tout comme il devient orgueilleux, violent, hautain, injurieux. Paris en fait le pire des Parisiens. Ce n’est pas un hasard si la lucidité lui revient dès lors qu’il se trouve en banlieue (Versailles, Marly). Il subit en dehors de cela la mauvaise influence de Paris, qui non seulement le pousse à mépriser la capitale, mais l’amène aussi à idéaliser son père au plus mauvais moment. Cerné de toutes parts par la bêtise humaine, Eusèbe chute, perd tout ce qu’il a, renonce à l’amour, provoque indirectement la mort de celle qu’il aime, dégringole jusqu’à son Limousin où l’attend, le lecteur le devine, la même existence stupide que celle de son père – dont on apprend d’ailleurs au début du récit qu’il a lui aussi vécu un temps à Paris.
Jules Noriac était lui-même originaire de Limoges, il est monté très jeune à Paris non pas pour y apprendre la civilisation, mais pour y faire carrière. Sans doute que beaucoup de souvenirs de sa propre expérience ont nourri ce roman, dont la qualité première est de faire intimement partager au lecteur la détresse morale de ce petit paysan aux goûts simples dans un Paris qui, sur beaucoup plans, ne diffère guère de celui d’aujourd’hui. Rédigé avec la fluidité d’un conte, « La Bêtise Humaine » n’est pas pour autant aussi léger qu’il y parait. Outre qu’on y philosophe de manière très voltairienne, Jules Noriac a eu à cœur de décrire avec une surprenante exactitude la lente et inéluctable métamorphose d’un innocent qui se transforme en imbécile, de celui qui veut conquérir le monde à celui qui veut qu’on l’en délivre, d’un jeune homme qui n’écoute que son cœur à un triste sire qui attend qu’on lui dise quoi faire. Cette abdication, si lourde de conséquences pour le récit, est une vraie merveille de démonstration littéraire.
Roman court mais dense, moins philosophique que désespéré, « La Bêtise Humaine » est un livre exceptionnel, à la fois par sa grande accessibilité et par la qualité littéraire qu’il parvient à atteindre sans que l’on sente que telle était l’ambition de l’auteur. Le ton y est d’ailleurs charmant, souriant, presque mondain. On ne s’attend pas à tant de hargne. On croit ouvrir un petit roman gentillet, on referme un grand roman incroyablement subversif pour son époque. Tout y est en effet remis en question, particulièrement les lois, les hypocrisies sociales, les conventions absurdes, les cabotinages divers, la religion, la justice… Tout y est mensonge orchestré mais trop boiteux pour fonctionner aux yeux de celui qui n’est pas dupe; un rien suffit à faire s’effondrer ces équilibres fragiles. Il est d’ailleurs significatif qu’Eusèbe entame sa chute dès lors qu’il ne remet plus rien en question, dès lors qu’il cherche à s’insérer socialement.
Il n’y a finalement à reprocher à ce roman que le défaut qu’on en voit au premier abord : cette écrasante influence voltairienne, exercice doublement périlleux car d’une part Noriac n’est pas Voltaire, et d’autre part, parce que les débats voltairiens n’ont pas tous bien vieilli. A l’image de pas mal de discours du « Dictionnaire Philosophique », certains dialogues ou monologues auxquels se livre Jules Noriac n’ont plus guère de pertinence. L’un d’eux, très vaguement lié au récit, condamne avec des arguments peu convaincants  le port du pantalon par les femmes, sans que ça apporte quoi que ce soit au récit. En revanche, tout ce qui a trait aux attitudes sociales, aux arrangements de conscience ou aux règlements dénués de sens demeure tout à fait d’actualité. Le portrait même de Paris, un Paris pourtant sans Tour Eiffel, sans circulation automobile, ni métro, reste terriblement cohérent avec le Paris d’aujourd’hui.
« La Bêtise Humaine » demeure donc une excellente tranche de XIXème siècle, dans ce que ce siècle pouvait avoir de plus contestataire. La rhétorique aimable est loin de la prose enragée d’un Bloy ou d’un Mirbeau, mais les idées sont là, et l’irrévérence encore plus. Le roman a peut-être un peu plus vieilli que son titre, mais il reste pertinent, intelligent et très original. Il mériterait d’être redécouvert…

Un Siècle Plus Tard

Sur le plan du style, « La Bêtise Humaine » est à la fois très classique et très fluide. Peu de fioritures littéraires, l’ouvrage visait clairement un public populaire, et adopte sensiblement la forme d’un conte, en dépit du réalisme de l’intrigue.
Quelques connaissances du mode de vie au XIXème siècle, et surtout des mentalités politiques de l’époque, seront utiles pour ne pas se sentir perdu lors de quelques passages très contextuels.
Voltaire était violemment antisémite. Noriac, fatalement, ne peut s’empêcher d’en reprendre quelques traits, même s’ils se bornent à considérer le mot « juif » comme un synonyme de « pingre », « avare », « escroc », « intéressé » et autres clichés liés au pseudo-matérialisme forcené des Juifs. Les allusions sont relativement rares, mais elles plombent douloureusement l’atmosphère de conte.
« La Bêtise Humaine » est un livre où l’humour est très présent, et relève assez souvent du second degré. Ce serait exagéré de dire que toutes les blagues et les situations vaudevillesques sont aussi drôles qu’à l’époque, mais il y a tout de même beaucoup de malentendus et de quiproquos qui restent très amusants pour un lecteur de ce siècle, certains flirtent même parfois avec un « nonsense » britannique assez irrésistible.

« La Bêtise Humaine » peut-être lu gratuitement en ligne sur le site Archive.Org à l’adresse ci-dessous :

https://archive.org/stream/labtisehumaine00norigoog#page/n8/mode/2up

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